Le monde a-t-il un sens, après tout il faudrait bien qu’il en ait un
pour qu’il puisse être à l’envers, nous-mêmes ne marchons pas sur la
tête, c’est finalement la pesanteur qui nous donne un sens, après
avoir passé toute notre vie les pieds sur terre nous finissons par
les avoir sous terre, et c’est bien là le sens de la vie, du dessus
vers le dessous, tous les jours nous descendons un peu plus mais
vouons un culte à tout ce qui monte et adorons l’ascension, on veut
croire qu’il y a un salut dans l’élévation alors qu’en fait nous
passons notre vie à rapetisser, de la naissance où nous sommes
immenses de potentialités à la mort où nous n’avons plus aucun choix
nous rétrécissons sans aucune possibilité d’enrayer le processus,
c’est à peine si nous arrivons à le ralentir un peu, la terre
inexorablement nous attire en son sein, elle réclame nos atomes pour
continuer son œuvre d’éternité, toute notre activité n’a finalement
qu’un seul but, échapper à la terre, dans ce combat désespéré contre
la pesanteur, nous invoquons les étoiles comme alliées et cherchons
à grandir en nous rapprochant d’elles, nous cultivons des ailes en
espérant bien un jour trouver comment les greffer, nous faisons
beaucoup de bruit dans l’espace et parlons au vide en attendant que
le verbe se fasse chair, nous passons tant d’énergie à lutter contre
le courant que nous oublions d’apprendre à nager et risquons à
chaque instant de nous noyer dans un verre d’eau, nous buvons la
tasse depuis si longtemps que nous prenons la soucoupe pour un objet
volant, et nous rêvons de nous sécher dans les airs quand nous ne
sommes pas capable de nous mouiller sur terre, notre corps petit à
petit nous embarrasse, nous qui aimerions tant n’être que de purs
esprits et échapper ainsi aux contingences de la matérialité, nous
sommes prêts à lâchement l’abandonner pour se réfugier dans le monde
merveilleux des images où loin des souffrances triviales qu’il ne
peut plus nous imposer nous le mettons à mort délicieusement pour
conjurer notre sort.